Fondation Giacometti -  Ecrits. Articles, notes et entretiens

Ecrits. Articles, notes et entretiens

Alberto Giacometti

Editions Hermann, Paris, Fondation Giacometti, Paris, 2008

Français

300 p.
21 x 14 cm
35 €

ISBN 978-2-7056-67030

Depuis les textes célèbres que le sculpteur avait publiés de son vivant, jusqu'aux entretiens qu'il a donnés et au cours desquels il exposait ses vues sur l'art, en passant par les carnets et les feuillets inédits, ce volume rassemble les Écrits d'Alberto Giacometti.

L'édition précédente a été entièrement revue et corrigée, augmentée également de manuscrits et de feuillets inconnus et retrouvés depuis 2004.Patiemment établi par l'équipe de la Fondation Alberto et Annette Giacometti, ce recueil offre aux amateurs toute la variété de la création littéraire de l'artiste, complément indispensable du reste de son oeuvre.

Les textes sont agrémentés d'une riche illustration afin de permettre aux lecteurs de visualiser l'état des carnets de Giacometti et d'entrer pleinement dans l'univers intellectuel et créatif de l'artiste.

À l'occasion des deux expositions Giacometti qui s'ouvriront en octobre prochain au Centre Pompidou et à la Bibliothèque nationale de France, les Editions Hermann republient, en collaboration avec la Fondation Alberto et Annette Giacometti, les Ecrits de Giacometti.

Extrait du livre :

HIER, SABLES MOUVANTS 1933
Étant enfant (entre 4 et 7 ans), je ne voyais du monde extérieur que les objets qui pouvaient être utiles à mon plaisir. C'étaient avant tout des pierres et des arbres, et rarement plus d'un objet à la fois. Je me rappelle que pendant deux étés au moins, je ne voyais de ce qui m'entourait qu'une grande pierre qui se trouvait à environ 800 mètres du village, cette pierre et les objets qui s'y rapportaient directement. C'était un monolithe d'une couleur dorée, s'ouvrant à sa base sur une caverne : tout le dessous était creux, l'eau avait fait ce travail. L'entrée était basse et allongée, à peine aussi haute que nous à cette époque. Par endroits, l'intérieur se creusait davantage jusqu'à sembler former tout au fond une seconde petite caverne. Ce fut mon père qui, un jour, nous montra ce monolithe. Découverte énorme ; tout de suite je considérai cette pierre comme une amie, un être animé des meilleures intentions à notre égard ; nous appelant, nous souriant, comme quelqu'un qu'on aurait connu autrefois, aimé et qu'on retrouverait avec une surprise et une joie infinies. Tout de suite, elle nous occupa exclusivement. Depuis ce jour nous passâmes là toutes nos matinées et nos après-midi. Nous étions cinq ou six enfants, toujours les mêmes, qui ne nous quittions jamais. Tous les matins, en m'éveillant, je cherchais la pierre. De la maison, je la voyais dans ses moindres détails, ainsi que, tel un fil, le petit chemin qui y menait ; tout le reste était vague et inconsistant, de l'air qui ne s'accroche à rien. Nous suivions ce chemin sans jamais en sortir et ne quittions jamais le terrain qui entourait immédiatement la caverne. Notre premier souci, après la découverte de la pierre, fut d'en délimiter l'entrée. Elle ne devait être qu'une fente tout juste assez large pour nous laisser passer. Mais j'étais au comble de la joie quand je pou­vais m'accroupir dans la petite caverne du fond ; j'y pouvais à peine tenir ; tous mes désirs étaient réalisés. Une fois, je ne saurais me rappeler par quel hasard, je m'éloignai plus que d'habitude. Peu après, je me trouvai sur une hauteur. Devant moi, un peu en contrebas, au milieu des broussailles, se dressait une énorme pierre noire présentant la forme d'une pyramide étroite et pointue dont les parois tombaient presque verticalement. Je ne puis exprimer le sentiment de dépit et de déroute que j'éprouvai à ce moment. La pierre me frappa immédiatement comme un être vivant, hostile, menaçant. Elle menaçait tout : nous, nos jeux et notre caverne. Son existence m'était intolérable et je sentis tout de suite - ne pouvant pas la faire disparaître - qu'il fallait l'ignorer, l'oublier et n'en parler à personne. Il m'arriva néanmoins de m'approcher d'elle, mais ce fut avec le sentiment de me livrer à quelque chose de répréhensible, de secret, de louche. Je la touchai à peine d'une main avec répulsion et effroi. J'en fis le tour, tremblant d'y découvrir une entrée. Pas trace de caverne, ce qui me rendait la pierre encore plus intolérable, mais pourtant j'en éprouvais une satisfaction : une ouverture dans cette pierre aurait tout compliqué et je ressentais déjà la désolation de notre caverne si l'on eût dû s'occuper d'une autre en même temps. Je m'enfuis loin de cette pierre noire, je n'en parlai pas aux autres enfants, je l'ignorai et ne retournai plus la voir.

Pour rechercher une œuvre consulter l’Alberto Giacometti Database