Le Palais à 4 heures du matin

Fondation Giacometti -  Le Palais à 4 heures du matin

Man Ray, Le Palais à 4 heures du matin de Giacometti, Archives Fondation Giacometti

Alberto Giacometti, Notes sur la sculpture

“Je prends pour exemple la sculpture reproduite ci-contre et qui figure un palais. Cet objet s’est formé peu à peu à la fin de l’été 1932, il s’est éclairé lentement pour moi, les diverses parties prenant leurs formes exactes et leur place précise dans l’ensemble. L’automne venu, il présenta une telle réalité que son exécution dans l’espace ne me demanda pas plus d’une journée.

Il se rapporte sans aucun doute à l’époque de ma vie qui prit fin un an plus tôt, à la période de six mois passée heure par heure auprès d’une femme qui, concentrant en elle toute la vie, portait chaque instant sur un plan d’émerveillement pour moi.

Nous construisions un fantastique palais dans la nuit (les jours et les nuits avaient la même couleur comme si tout se fût passé juste avant le petit matin ; je n’ai pas vu le soleil durant tout ce temps), un très fragile palais d’allumettes : au moindre faux mouvements toute une partie de la minuscule construction s’écroulait ; nous la recommencions toujours. Je ne sais pourquoi elle s’est peuplé de l’épine dorsale dans une cage - l’épine dorsale que cette femme me vendit une des toutes premières nuits que je la rencontrai dans la rue - et d’un des oiseaux squelettes qu’elle vit la nuit même qui précéda le matin où notre vie commune s’écroula - les oiseaux squelettes qui voltigeaient très haut au-dessus du bassin à l’eau claire et verte où nageaient les squelettes très fins et très blancs des poissons, dans la grande salle découverte parmis les exlamations d’émerveillement à quatre heures du matin. Au milieu s’élève l’échafaudage d’une tour peut-être inachevée ; peut-être aussi, dont tout le haut s’est écroulé, brisé. De l’autre côté est venue se placer une statue de femme, dans laquelle je découvre ma mère, telle qu’elle a impressioné mes premiers souvenirs. La longue robe noire qui touchait le sol me troublait par son mystère ; elle me semblait faire partie du corps et cela me causait un sentiment de peur et de désarroi ; tout le reste se perdait, échappait à mon attention. Cette figure se détache sur trois fois le même rideau et c’est sur ce rideau que j’ai ouvert pour la première fois les yeux. En proie à un charme infini je fixais ce rideau brun au-dessus duquel filtrait, le long du parquet, un mince filet de lumière. 

Je ne peux rien dire de l’objet sur une planchette qui est rouge ; je m’identifie avec lui.”

Alberto Giacometti, (Notes sur la sculpture), Minotaure, n°3-4, 12 décembre 1933.

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