Du 10 févr. au 26 avril 2015

Alberto Giacometti

Pera Museum
Istanbul, Turquie
Hors les murs

Parcours

1. Dans l’atelier du père

Alberto Giacometti est le fils ainé d’un peintre néo-impressionniste renommé, Giovanni Giacometti. Il grandit dans l’atelier paternel, à Stampa en Suisse italienne, et s’initie très tôt à l’art. A 13 ans, il réalise son premier buste d’après nature, en prenant déjà son frère Diego pour modèle, puis une première nature morte aux pommes, inspirée de Cézanne, sur fond d’atelier. Déjà apparaissent deux de ses sujets d’études privilégiés : la représentation d’une tête et le sujet dans l’atelier.

« J’avais vu la reproduction de petits bustes sur un socle et immédiatement j’ai eu envie d’en faire autant. (…) D’abord j’éprouvai un plaisir extrême et j’eus l’impression que cela allait venir très facilement, que j’arriverais à faire à peu près ce que je voyais ». Giacometti, 1962  (Entretien avec André Parinaud) 

2. Sur les pas du père (1916-1921)

Comme son père, Giacometti prend pour modèles ses proches, à commencer par ses frères Diego et Bruno et sa sœur Ottilia qu’il représente dans une peinture divisionniste par la juxtaposition d’une multitude de touches colorées. Si le style s’apparente à celui des néo-impressionnistes, Giacometti expérimente une voie plus personnelle quand la tête de son frère Diego fusionne avec le paysage, esquissant déjà les bases d’une réflexion sur la perception d’une tête vue à une certaine distance.

« Pour savoir peindre il faut apprendre à voir » lui rappelle son père qui l’emmène en 1920-1921 faire le « grand tour » en Italie à la rencontre de l’œuvre des grands maîtres italiens, ouvrant de nouvelles perspectives au jeune artiste. Il ne lui reste qu’à quitter Stampa pour s’affranchir définitivement de l’influence paternelle.

3. Rencontre avec les principaux mouvement artistiques  (1922-1935)

En 1922, Giacometti s’installe à Paris pour suivre les cours du sculpteur Antoine Bourdelle à l’Académie de la Grande Chaumière, un lieu réputé où les élèves du monde entier viennent s’initier à la sculpture d’après modèle. En 1926, il loue un petit atelier d’à peine 23 m2, rue Hippolyte-Maindron, dans le quartier des artistes à Montparnasse, dans lequel il restera toute sa vie. Il découvre alors les arts primitifs, le néo-cubisme et surtout le surréalisme. Si les influences sont manifestes, Giacometti se fraye une voie personnelle qui attire l’attention des artistes et intellectuels influents de l’époque. Dali voit même en une de ses œuvres le prototype des « objets à fonctionnement symbolique » chers aux surréalistes. Giacometti compte désormais parmi les artistes importants de l’époque mais son désir de retravailler d’après modèle en 1935 entraine son éviction du groupe des surréalistes.

3.2 Ecrits surréalistes : de l’image au texte

Au début des années 1930, Giacometti prend part aux activités du groupe surréaliste. André Breton et Paul Eluard l’invitent à contribuer à leur nouvelle revue Le surréalisme au service de la révolution. Il intervient à partir du n°3, en 1931, avec une forme hybride où textes et images se rencontrent. C’est le début d’une pratique intense de l’écriture qui l’occupera régulièrement toute sa vie. Dans le n°3-4 de la revue de Skira et Tériade Minotaure, il aborde plus spécifiquement son travail de sculpteur mais d’une manière ”indirecte”. Suivront un nombre important d’écrits publiés dans les principales revues de l’avant-garde parisienne.

4. le monde comme une scène (1950-1960)

Pendant la guerre, Giacometti retourne en Suisse et commence à travailler à de minuscules sculptures qui paradoxalement le conduisent à explorer la notion de monumentalité par la réduction des figures.
Les années qui suivent, il développe son travail sur la perception d’une figure vue à distance, étirant les silhouettes pour se rapprocher de sa vision réelle. Pour autant ses compositions de l’époque sont encore marquées par l’esprit surréaliste opérant la rencontre improbable d’une tête et d’une femme dans une cage ou réunissant sur un même plateau plusieurs sculptures formant un paysage. Les œuvres du début des années 1950 traduisent alors son souvenir d’une clairière ou d’une place mais où les arbres sont représentés par des femmes et les rochers par des têtes. 

5.  Paris sans fin (1959-1965)

Alors que la plus grande partie de l’œuvre de Giacometti est produite dans son atelier, la commande par l’éditeur Tériade d’un livre de lithographies sur Paris, lui donne l’occasion d’en sortir pour documenter sa ville d’adoption. Giacometti y dépeint ses rues et ses monuments, les cafés et les bars de Montparnasse où il a ses habitudes, mais aussi des lieux plus personnels, à commencer par son atelier, l’appartement de sa femme Annette et l’imprimerie Mourlot où seront produites les lithographies. La technique de dessins sur papier report n’autorise pas la reprise et Giacometti doit alors pour la première fois croquer sur le vif sans repentir possible. Véritable biographie en image de la condition d’un artiste au début des années 1960, Paris sans fin, se déploie par cercles concentriques depuis son atelier, invitant le lecteur à suivre ses pas et son expérience quotidienne de la ville. Le livre réunissant 150 lithographies originales ne sera publié qu’en 1969, trois ans après la mort de l’artiste.

6. La figure humaine

Comment représenter la figure humaine de la manière la plus ressemblante possible est sans doute ce qui occupe le plus Giacometti depuis son retour en 1935 au travail d’après modèle. Ses proches et amis passent de longues heures, assis sur un tabouret, à poser dans le froid de l’atelier, pendant que Giacometti peint ou sculpte inlassablement avec le sentiment de ne jamais parvenir à obtenir ce qu’il voit. Son frère Diego, sa femme Annette, sa maitresse Caroline, son ami japonais Yanaihara et quelques autres se prêtent volontiers à l’épuisant exercice de la pose. Pour Giacometti il s’agit moins de « représenter quelqu’un comme on le connaît mais comme on le voit », la ressemblance n’étant pas dans la représentation réaliste des traits d’un visage mais dans celle de la vision. Lorsque ses modèles ne sont plus disponibles, Giacometti travaille alors de mémoire et les traits personnels du modèle finissent par s’estomper ou à fusionner avec ceux d’un autre. 

7. Giacometti à travers l’objectif des photographes 

Giacometti prend très tôt conscience de l’importance de l’image photographique et son atelier devient rapidement l’espace de la mythification de l’artiste. Dès le début des années 1930 et jusqu’à la fin, Giacometti se prête volontiers au jeu du modèle, posant dans son atelier de la rue Hippolyte-Maindron pour les plus grands photographes de son époque. Le contraste est à chaque fois saisissant entre les murs décrépis de l’atelier et les sculptures reposant dans la poussière, et la tenue impeccable de l’artiste en costume. Dès les premiers articles, ses œuvres sont également représentées « en situation » dans l’atelier et alimentent la constitution du mythe.

8. L’œuvre ultime

L’année 1965, qui précède sa mort, est celle de sa consécration. Giacometti est invité pour trois rétrospectives d’envergures, qui connaissent un grand succès, à New York au Museum of Modern Art, à Londres à la Tate Gallery et au Danemark au Louisiana Museum of Art. Le New York Times magazine lui consacre sa couverture du numéro de Juin 1965. L’artiste suisse, qui a vécu la plus grande partie de sa vie à Paris, reçoit le Grand Prix National des Arts en France en décembre de la même année avant d’être hospitalisé quelques semaines plus tard en Suisse à l’hôpital de Coire où il décède le 11 janvier 1966. Sabine Weiss immortalise l’atelier en 1966, où trainent les œuvres en cours dont certaines sont restées inachevées.

Commissaires de l'exposition : Catherine Grenier et Christian Alandete

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