9. Portraits et modèles
Les portraits de Giacometti, peints et sculptés, sont la traduction du modèle en tant qu’irréductible altérité, jamais saisissable dans son intégralité. Dégagés de toute émotion ou expression, ces portraits sont le réceptacle de ce que le spectateur y apporte. Pour l’artiste, il s’agit de capter et rendre la vie frémissante du modèle et non sa psychologie. La cuisinière de sa mère, Rita, devient sous le pinceau de Giacometti un personnage hiératique dégagé de tout contexte sociologique.
Ses modèles favoris sont ceux qui vivent à ses côtés : Annette, son épouse depuis 1949, et Diego, son frère et assistant, qui servent de support à ses recherches les plus avancées. Travaillant de mémoire, il fait surgir leur image au sein d’un espace imaginaire. Travaillant d’après modèle, il refuse la perspective classique pour restituer le modèle posant tel qu’il le voit – dans son aspect parcellaire ou déformé, toujours changeant. Leurs traits distinctifs se dissolvent et parfois se fondent, ou se réduisent à l’essentiel. Giacometti représente aussi des modèles occasionnels, à condition qu’ils acceptent de poser pendant des heures devant son pinceau : l’industriel et collectionneur anglais Sir Robert Sainsbury, l’intellectuelle raffinée Paola Carola-Thorel, l’artiste Pierre Josse. Chaque séance de pose suscite une nouvelle succession de perceptions, qui l’artiste cherche à accumuler sous son pinceau. Caroline, jolie femme à la personnalité complexe qui fréquente le milieu du banditisme et pose à partir de 1960, est présentée sous trois aspects très différents : déesse lointaine, figure totémique et dangereuse, beauté sculpturale.